ZAMAL, « Ni Ange Ni Démon »

En France, et à La Réunion particulièrement, une large majorité des jeunes fument du cannabis (ou « zamal » comme on appelle le cannabis péi) au cours de leur adolescence. Il est établi qu’environ 8 ados sur 10 expérimentent au moins une fois ce type de consommation. Faut-il alors banaliser ? Diaboliser ? Spécialisé dans les addictions chez les adolescents, Jacques Navon, psychologue clinicien du Centre spécialisé d’accompagnement et de prévention en addictologie Kaz’Oté (Saint-Paul), évoque plutôt un discours « vérité ».

A MES KÔTÉS : COMMENT EXPLIQUER UNE CONSOM- MATION DE ZAMAL AUSSI RÉPANDUE CHEZ LES ADOLESCENTS RÉUNIONNAIS ?

Jacques Navon : Bien souvent, la consommation initiale de zamal ne réside pas dans l’envie de fumer. Il s’agit plutôt pour l’adolescent de faire comme les dalons, d’imiter ses pairs pour intégrer le groupe. « Allez, viens râle ta taf ! » En prenant un peu de hauteur, ce comportement peut être qualifié de « normal ». L’adolescence, c’est un moment particulier dans son rapport aux autres et c’est l’âge de l’expérimentation. Il n’est donc pas très étonnant de voir nombre d’adolescents – et les garçons bien plus que les filles – s’essayer au zamal. Les enquêtes nationales soulignent que, parmi ces consommateurs adolescents, plus de 90 % ne présentent aucun symptôme d’addiction au cannabis, ce qui est plutôt rassurant. A contrario, c’est lorsque la consommation devient régulière voire importante, qu’il faut réagir et se rapprocher des professionnels des conduites addictives (notamment dans le cadre des Consultations Jeunes Consommateurs, anonymes et gratuites).

AMK : POURQUOI ?

J. N. : La première des raisons est d’ordre médical. Et je ne parle pas uniquement des problèmes respiratoires. En effet, les études ont démontré que la consommation excessive de cannabis pendant la 3e phase de développement du système nerveux central, qui intervient vers 13-14 ans, est susceptible d’occasionner des dégâts irréversibles, de mettre à mal durablement les capacités d’élaboration d’une pensée complexe. Tant que le cerveau n’est pas « terminé », il peut s’avérer dangereux de fumer régulièrement du zamal. Si tu crames ton cerveau à 15 ans, il va dysfonctionner toute ta vie ! Contrairement à une idée parfois répandue chez les ados, ce n’est pas du tout la même chose de consommer quotidiennement à 23 ans qu’à 15 ans…

AMK : QUELLES SONT LES AUTRES RAISONS ?

J. N. : Comme pour toutes les drogues, la consommation régulière de zamal n’est que l’arbre qui cache la forêt. Elle agit comme un révélateur d’inquiétudes plus profondes. L’ado instrumentalise cette addiction pour exprimer autre chose. C’est cette autre chose qu’il faut parvenir à extérioriser. Et cela passe par l’écoute et la discussion entre les parents et l’adolescent. Il ne sert à rien de diaboliser la consommation de zamal ! Il faut avant tout en trouver la cause. Dans le cadre des CJC, les échanges permettent le plus souvent de freiner, voire d’arrêter, la consommation en quelques semaines seulement.

AMK : QUELS CONSEILS DONNERIEZ-VOUS À UN PARENT POUR ABORDER LA QUESTION DU ZAMAL AVEC SON ADOLESCENT ?

J. N. : Accompagnés ou non par des spécialistes, le postulat de départ doit être la volonté d’établir une alliance avec l’adolescent. Trop souvent, les parents et l’adolescent s’enferment dans des discours contraires et manichéens. L’ado banalise (à tort), alors que les parents dramatisent (à tort également). Or, le zamal, ce n’est ni ange, ni démon ! D’ailleurs, le zamal, j’aurai tendance à dire qu’on s’en fout ! La question est plutôt : quel mal-être cette consommation régulière de cannabis révèle t’elle? Car, à l’adolescence, les perturbations potentielles sont extrêmement diverses : affectives, familiales, socio-économiques, incertitudes liées à l’avenir, etc. L’ado est un être en construction, particulièrement vulnérable, et il peut être amené à confier ses peines au joint. Le cannabis ne provoque pas les vulnérabilités, il les révèle !

AMK : LE RÔLE DES PARENTS APPARAÎT ESSENTIEL…

J. N. : Le principal repère de l’ado, dans lequel il a encore totalement confiance, ce sont ses parents. Il est fondamental pour ces derniers d’être à l’écoute pour l’accompagner face à ses peurs. La diabolisation et la radicalisation du discours auront un effet inverse, et ne feront qu’entretenir un cercle vicieux. Les parents doivent entendre la cause de sa consommation excessive : cela ne veut pas dire qu’il ait alors forcément raison, mais il faut avoir accès à cette raison pour l’aider. Mieux vaut donc privilégier un discours  » vérité « , en évoquant à la fois les angoisses de l’adolescent et la réalité d’un risque neurologique qu’il est largement en âge d’entendre. Mais je rappelle une fois encore que, dans la très grande majorité des cas, cette consommation adolescente est sporadique et temporaire. Tout rentrera dans l’ordre après l’expérimentation, corrélée à l’adolescence. Pour les parents, il ne sert donc à rien de se dire « Mais qu’est-ce que j’ai raté ? » Réponse : rien !

Le psychologue JACQUES NAVON reçoit gratuitement et sur rendez-vous au CSAPA et aux Consultations Jeunes Consommateurs à Saint-Paul, 7 chemin Pavé (Tour des Roches). Tél. : 0262 45 26 55

DES EFFETS POTENTIELS multiples
Le site Masante.re détaille les effets possibles du zamal, à court et à long terme.
À COURT TERMEÀ LONG TERME
sensation de détente et de bien-être, voire euphorie chez l’adolescent, perturbation du développement du système nerveux central
modification des perceptions bronchite chronique
tachycardie cancer du poumon
ralentissement des réflexes impacts neurologiques
bouche sèche comme des problèmes de mémoire et de motivation
yeux rouges troubles psychiques (anxiété, bouffées délirantes)
une sensation de nausée troubles de l’attention
difficultés à contenir ses pulsions
diminution des sens et de la réflexion
troubles psychomoteurs
agressivité à l’égard de l’entourage

Pour l’adolescent comme pour le parent, il est possible de bénéficier d’une oreille attentive et de conseils avisés auprès de différents interlocuteurs. Le site Masante.re en a dressé la liste.

Le médecin traitant ou le pharmacien, tenus par le secret professionnel

L’infirmière scolaire, mais aussi les chirurgiens-dentistes, infirmiers, sages-femmes et masseurs-kinésithérapeutes

Drogues Info Service 0 800 23 13 13 (appel gratuit depuis un poste fixe) et www.droguesinfoservice.fr

Les Consultations Jeunes Consommateurs (CJC). Consultations gratuites spécialisées, au sein des Centres spécialisés d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). Les professionnels de la CJC (médecins, psychologues, éducateurs) proposent une évaluation de la situation de chacun, répondent aux questions et peuvent aider à réduire ou à arrêter sa consommation.
La liste des CJC réunionnaises est disponible en appelant Drogues Info Service (0 800 23 13 13) ou sur le site Masante.re

Les services hospitaliers spécialisés. « Ces services reçoivent avec ou sans rendez-vous selon les structures. Si les consultations externes sont ouvertes aux adolescents, seul le CHU Nord offre des séjours hospitaliers aux jeunes, et seulement à partir de 17 ans », peut-on lire sur Masante.re

Fil Santé Jeunes (service gratuit et réservé aux jeunes de 12 à 25 ans.) 0 800 235 236

Les Points info santé. « Sur place, je vais pouvoir discuter avec des animateurs, des travailleurs sociaux mais aussi des infirmiers qui vont m’écouter, m’informer et m’orienter selon mes besoins. »

…… SAINT-DENIS / 46, rue Sainte-Marie – 0262 28 98 28

…… PLATEAU CAILLOU / 60, rue Claude de Sigoyer – 0262 55 47 55

…… SAINT-PIERRE / 44 bis, rue Archambaud – 0262 96 91 44

…… SAINT-ANDRÉ / 402, rue de la Gare, bât. A – 0262 40 71 00

Les Maisons des adolescents. Elles accueillent les jeunes en difficulté librement et gratuitement pour les écouter, les orienter ou les informer. Elles ne sont pas spécialisées dans les problèmes d’addiction. Liste à consulter sur le site Masante.re.

Forum Addict’Aide. Cette communauté en ligne permet d’accéder à un espace d’entraide et de discussion, et recense les lignes d’écoute et les forums spécialisés.

SOS Addictions. N° spécial usagers : 06 01 43 31 94

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