TROUBLES PIGMENTAIRES « Un impact sur la qualité de la vie »

Dermatologue-vénérologue au CHU de Nice et chef
d’équipe à l’Inserm, professeur Thierry Passeron

Dermatologue-vénérologue au CHU de Nice et chef d’équipe à l’Inserm, le professeur Thierry Passeron était à La Réunion fin octobre. L’occasion pour les dermatologues péi de recevoir de précieux éclairages sur les troubles de la pigmentation et sur la photoprotection.
Et, pour ce spécialiste, de combattre quelques idées reçues. A Mes Kôtés est allé à sa rencontre.

Pr Thierry Passeron : Le vitiligo est une affection cutanée qui se caractérise par l’apparition de taches blanches sur la peau, du fait d’une dépigmentation acquise. On ne naît pas avec ces taches, elles apparaissent petit à petit. C’est une dermatose très répandue puisque les études montrent que 0,5 % à 2 % de la population mondiale est concernée, sans distinction de genre ou d’origine ethnique. Tout le monde est égal face à cette pathologie, dont plus de la moitié des cas se déclarent avant l’âge de 20 ans. Le vitiligo étant confronté à beaucoup d’idées reçues, il faut bien préciser que le vitiligo n’est ni héréditaire, ni contagieux, ni lié à de quelconques facteurs psychologiques. C’est bel et bien une maladie auto-immune, dans laquelle le système de défense se trompe et détruit les cellules qui fabriquent la pigmentation de la peau (les mélanocytes).

EST-CE DOULOUREUX ?


T. P. : Le vitiligo n’est pas douloureux physiquement parlant. En général, la personne ne se gratte pas. Mais, quand souffrance il y a, elle est davantage psychologique. L’impact sur la qualité de vie est souvent majeur, avec les implications sociales, professionnelles ou encore sentimentales qu’il est malheureusement aisé
d’imaginer. Dans certaines cultures, le vitiligo peut même être synonyme de mise au ban voire de répudiation. Les études font apparaître que dans le monde une personne sur deux est concernée par un trouble pigmentaire, dont un quart à un tiers ont un impact majeur sur la qualité de vie. C’est faramineux !

L’EXPOSITION AU SOLEIL EST-ELLE DÉCONSEILLÉE AUX PERSONNES ATTEINTES PAR UN VITILIGO ?


T. P. : Pas du tout, bien au contraire ! Voilà une autre idée reçue selon laquelle le vitiligo offrirait un terrain privilégié pour le développement du cancer de la peau. C’est totalement faux. Les personnes ayant un vitiligo ont même trois fois moins de risques de faire un mélanome, c’est-à-dire un cancer du grain de beauté. Cela tombe bien, car l’exposition au soleil apparaît essentielle en cas de vitiligo. Il faut bien entendu s’exposer de manière modérée et sporadique, jusqu’à ce que la peau rosisse légèrement. Mais il ne faut surtout pas se cacher du soleil ! Sans UV, il est extrêmement compliqué de traiter efficacement cette pathologie.

IL EST DONC POSSIBLE DE TRAITER LE VITILIGO…


T. P. : Eh oui ! Environ 65 % des médecins européens pensent encore qu’il est impossible de contrecarrer le vitiligo. C’est effarant, car les traitements existent bel et bien. Si l’efficacité est limitée pour certaines zones du corps (notamment les mains, les pieds et les parties génitales), la repigmentation complète ou quasiment complète du visage est obtenue pour 7 à 8 personnes sur 10. Un premier traitement spécifique a été développé récemment : le ruxolitinib. Cette crème est déjà disponible aux Etats-Unis et en Allemagne, et sa mise sur le marché comme son remboursement sont espérés en France dans les mois à venir.
C’est une monothérapie longue (entre 6 et 24 mois), mais il est fortement probable qu’elle se révèle encore plus efficace en y associant une exposition mesurée aux UV.

A LA RÉUNION, DE NOMBREUSES PERSONNES DÉVELOPPENT AUSSI DES TACHES BRUNES. D’OÙ PROVIENT CETTE HYPERPIGMENTATION ?


T. P. : Il peut s’agir d’un simple photovieillissement localisé, communément appelé à tort « taches de vieillesse », quand on a pris trop de soleil. Cela se traite facilement au laser. Mais, dans certains cas, la personne peut avoir déclaré un mélasma. Ce trouble bénin, non douloureux et non contagieux de la pigmentation touche à 90 % des femmes. Toutefois, contrairement aux idées reçues là encore, seule une part mineure (20 %) débute pendant la grossesse, il n’est donc pas possible de le résumer au « masque de grossesse » qui lui est souvent associé. Des prédispositions génétiques rendent les populations d’origine indienne (j’ai
vu beaucoup de mélasmas à La Réunion) ou d’origine hispanique plus sensibles encore au mélasma. Ce dernier apparaît en général entre 20 et 40 ans, parfois bien après, car plus la peau est mate, plus le mélasma se développe tardivement. Il peut s’installer pour cinq à vingt ans… Par conséquent, il est important de le
traiter à la fois pour l’attaquer mais également pour l’entretenir.

COMMENT ?


T. P. : Surtout pas au laser, dont le résultat peut s’avérer contre-productif. Dans le cas du mélasma, des traitements dépigmentants associent des préparations magistrales et des crèmes dépigmentantes douces. A ce binôme, il faut absolument ajouter une photoprotection rigoureuse : casquette, lunettes, crème solaire…
Je rappelle que la crème solaire se met trois fois par jour minimum, chaque dose étalée devant correspondre à une cuillère à café. Une noisette de crème ne suffit pas. La protection physique supplémentaire, en particulier les chapeaux à bord large, apparaît par conséquent indispensable.

AVEZ-VOUS UN CONSEIL À DONNER POUR BIEN CHOISIR SA CRÈME SOLAIRE ?


T. P. : L’indice de protection, le fameux SPF, indique le niveau de protection contre les coups de soleil, c’est-à-dire les UVB. Or il est désormais démontré que les UVA, qui passent à travers les vitres et les nuages, sont beaucoup plus constants dans l’année, dans la journée et ont un impact au moins aussi important que
les UVB sur la santé. Le photovieillissement (les « taches de vieillesse »), les rides, c’est eux. Les mélanomes, c’est autant les UVA que les UVB, si ce n’est plus. Idem pour les phototoxicités médicamenteuses ou encore pour les troubles de la pigmentation dont j’ai parlé auparavant. En outre, si les personnes à peau claire sont davantage sensibles aux UVB que les personnes à peau mate, les UVA représentent un danger équivalent pour tous les types de peau.

COMMENT SAVOIR SI LA PROTECTION EN UVA DE MA CRÈME SOLAIRE EST SUFFISANTE ?


T. P. : Légalement, l’indice de protection en UVA est d’au moins un tiers de l’indice SPF de protection en UVB. Seul un logo l’atteste, mais je conseille de demander au pharmacien l’indice UVA. Car plus la protection en UVA sera proche de celle en UVB, plus la crème sera efficace. Cela peut ressembler à un parcours du combattant pour connaître ce fameux indice, mais la démarche est essentielle pour protéger au mieux les personnes à risque, en particulier les enfants de moins de 15 ans. C’est malheureusement très peu connu. J’ajoute enfin que, lorsqu’on est atteint par un trouble pigmentaire, la lumière visible (ou lumière bleue) a un fort impact sur la peau. Dans ce cas, il est indispensable de miser sur une crème solaire teintée, qui sera la seule protection réellement efficace. Si c’est inscrit « protège de la lumière visible » mais que la crème n’est pas teintée, c’est que c’est faux ! Malheureusement, ces crèmes teintées n’offrent pas des couleurs adaptées à toutes les peaux, ce qui pose un véritable problème esthétique et psychologique. Les laboratoires ont encore du travail à mener sur ce point, qui est loin d’être négligeable.

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