« Anxiété, adaptation et frustration »

Elodie Saint-Lot est psychologue clinicienne à Saint-Denis. Spécialisée en développement de l’enfant et de l’adolescent, elle résume le ressenti des enfants rencontrés dans son cabinet, depuis bientôt un an et demi que dure l’épisode Covid-19.

A MES KÔTÉS : Quels sentiments les enfants expriment-ils face à la Covid ?

ELODIE SAINT-LOT : Je tiens tout d’abord à préciser que ce que j’ai constaté n’est lié qu’à ma seule pratique. Il serait dangereux de généraliser mes remarques à l’ensemble des enfants ! A ma petite échelle donc, il semblerait que les enfants soient impactés par l’anxiété et l’insécurité générale qui a envahi les foyers, l’école et le monde du travail. Les anxiétés déjà présentes chez certains ont été majorées, au moins en 2020. La peur, parfois la culpabilité, est même très forte chez certains de perdre leurs grands-parents. Sans même les avoir vus depuis plus d’un an parfois, ce qui les rend particulièrement tristes. Toutefois, l’expectative et l’inquiétude constatées l’année dernière ont souvent laissé place à l’adaptation, à l’habitude de porter le masque ou de respecter la distanciation sociale. Non sans provoquer quelques incompréhensions et frustrations.

AMK : Par exemple ?

E. S.-L. : Récréations séparées, places espacées à la cantine, professeurs qui exigent le port du masque, d’autres qui se montrent plus souples… Les enfants évoquent souvent les difficultés liées à la fluctuation des règles et des pratiques, ainsi que la multiplication des interdictions. Chez les enfants de primaire que je vois, il émane comme une certaine amertume et un sentiment d’injustice : ils respectent tout (même ce qui leur paraît parfois absurde) et n’en perçoivent pas les effets positifs. Quand la situation ne leur paraît pas aller de pire en pire…

AMK : Quelles conséquences sociales à cet épisode Covid mesurez-vous chez les enfants ?

E. S.-L. : Nombreux sont les enfants qui disent s’ennuyer de leurs amis en dehors de l’école, et de l’absence d’activités sportives ou ludiques. Ils expriment une frustration à être privés de jeux et d’interactions entre pairs, pourtant nécessaires à la construction identitaire et à l’estime de soi. Ne plus pouvoir se toucher ni faire de câlins est également évoqué. Et le constat est bien plus déplorable chez les ados. Le repli anxieux et tous les symptômes liés (crises d’angoisse, TOC, idées suicidaires…) sont de plus en plus fréquents. Et particulièrement inquiétants à mes yeux. Dans quelques cas particuliers, le repli contraint par la situation sanitaire a au contraire engendré des réactions positives, avec des facultés d’adaptation inattendues. Mais, globalement, le stress chronique et sans répit lié à la Covid, sans projection vers une quelconque fin ou ne serait-ce que des vacances, commence à épuiser les ressources dans les familles. Même des plus solides, qu’il s’agisse des enfants ou des parents…

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